Des recherches sur l’habitat traditionnel au Sahel



Depuis 1986 Development Workshop mène des recherches au sujet de l’habitat traditionnel au Sahel
Ensemble, ces recherches constituent une travail important sur l’axe de l’habitat traditionnel et contemporain au Sahel, qui permet d’identifier des contraintes et des possibilités pour l’amélioration de l’habitat rural et des villes secondaires du Sahel.
Compte tenu de la grande consommation des matières organiques dans la construction dans une grande partie du Sahel, la dégradation de l'environnement rend l'approvisionnement en matériaux végétaux difficile pour les plus démunis. Bien que la construction de l'habitat traditionnel ne soit pas la principale cause de cette dégradation, elle a un impact majeur sur le couvert arboré en utilisant des arbres grands et forts.
Plusieurs indicateurs de la pénurie en bois de construction ont été relevés dans nos études:
les essences préférées pour la construction ne sont plus disponibles à proximité des agglomérations étudiées,
on utilise des arbres immatures (moins durables) entraînant le remplacement fréquent donc une consommation d'un plus grand volume de bois,
les distances à parcourir sont plus grandes pour collecter le bois entraînant l'augmentation des prix
et enfin la qualité de l'habitat diminue (pièces plus petites, poteau central, nombre de pièces insuffisant, utilisation d'une quantité insuffisante de matériaux, absence d'entretien entraînant des dangers d'effondrement, mauvaise protection contre le froid et la poussière).
Choix de technique
La promotion d’une technique innovatrice n’est pas une tâche facile. A part la contrainte fondamentale des moyens disponibles et l’influence de la tradition locale, le choix des matériaux de construction et de la technique employée est essentiellement fonction du savoir-faire du propriétaire et/ou (pour la maçonnerie) de la présence d’un maçon dans la famille étendue et dans la communauté locale. Si un maçon dans la famille étendue a été formé à une technique spéciale, telle la construction sans bois, celle-là peut être la technique choisie, mais parmi les familles plus démunies, il est très rare de chercher un maçon en dehors de la famille étendue ou de la communauté pour permettre à accéder à une technique de construction différente.
Ainsi, une facteur limitant la vulgarisation d’une technique nouvelle est la disponibilité d’un maçon formé au sein de la famille étendue et dans la communauté: il s’en suit que la vulgarisation dépendra de la formation d’un nombre important de maçons. C’est un objectif principal de nos activités.
Le développement de la capacité des maçons à « vendre » leur compétence, et ainsi de développer des relations entre le maçon formé et sa ‘clientèle’ locale, hors contexte des projets (qu’il s’agit du PCSB ou d’autres organisations travaillant avec la CSB) est aussi un facteur important, et a fait l’objet d’une partie importante des actions menées par le PCSB en 1999. Ces actions doivent être renforcées, à notre avis.
Les coûts de la construction
Les coûts de la construction en milieu rural sont extrêmement difficiles à chiffrer, car le principe d’estimation basé sur un tarif journalier pour un maçon ou le coût d’une brique, n’est souvent pas applicable dans le secteur informel, bien que ce genre de calcul soit bien appliqué par les maçons dans la préparation de devis pour des ONG ou pour des clients aisés. Nous avons vu aussi que les maçons locaux demandent des tarifs et des contrats plus chers auprès des clients aisés, tandis qu’ils travaillent parfois gratuitement pour des familles pauvres.
En milieu rural, les maçons engagés par des familles à faible moyens ne sont que rarement payés par jour, et pas toujours payés en argent. Il s’agit plutôt d’une négociation basée sur divers valeurs et formes d’indemnité, y compris la nourriture, le logement, l’échange de services, des obligations familiales, etc. L’argent peut faire partie du calcul, mais ce n’est pas la seule critère. Nous avons remarqué que le même principe s’applique aussi dans la négociation des ‘contrats’ entre des équipes de maçons et des villageois pour la construction des banques de céréales, etc. où le montant payé aux maçons est en réalité inférieur aux montants calculés par les projets.
La construction est souvent un effort de collaboration entre la famille, très souvent avec ses voisins, et avec la participation des maçons pour des tâches difficiles. Les familles payeront la fabrication des briques, ou les fabriqueront eux-mêmes. Dans certains cas, la seule dépense pour la construction d’une maison sans bois a consisté en l’achat d’une porte en tôle et de fenêtres, mais le plus souvent il faut aussi payer quelque chose pour le maçon spécialisé. La présence d’un nombre plus important de maçons formés peut non seulement contribuer à la vulgarisation de la technique CSB, mais peut aussi contribuer à la stabilisation des tarifs pratiqués par les maçons. A Filingué, à titre d’exemple, les maçons demandent le même tarif pour la construction en bois et sans bois.
Une comparaison des coûts de construction
Malgré la difficulté d’estimation des frais réels de la construction engagés par une famille, on peut néanmoins établir des comparaisons de coûts, en supposant que tous les matériaux sont achetés et la main d’œuvre rémunérée.
A noter que la durée de la mise en œuvre, et donc le nombre de jours/maçons, dépend en réalité de la disponibilité des matériaux et des manœuvres sur le chantier et de l’expérience des maçons. Certains maçons travaillent sur plusieurs chantiers en parallèle ce qui les a permis d’éviter des problèmes de retards à cause d’un manque de matériaux sur l’un ou l’autres des chantiers.
Le tableau ci-dessous a été réalisé à l'aide d'informations recueillies auprès des maçons en 1998. Il permet de comparer les coûts de construction d’une maison de 2 pièces (surface utile 24,5 m²). Il y a bien sûr des variations locales. Par exemple, la pratique d’utiliser des murs de 20 cm n’est pas universelle, et il y a beaucoup de villages où les maisons avec toiture en bois ont des murs de 40 cm. Le tableau ci-dessous reprend les principaux postes de dépenses pour les travaux des gros œuvres seulement (les travaux de second œuvre pouvant varier énormément selon les goûts et les possibilités du client).
....
NB F = Fcfa ; 10 000 Fcfa = environ 15 €
Briques, banco et eau![]() |
bois ou tôle | main d’œuvre | total![]() |
|
Toiture en mauvais bois et murs de 20cm |
G. briques = 1 750 x 20F = 35 000F sous-total |
gaulettes (sabara): 24 voy. D’âne x 1000F = 24 000F
sous-total pour bois |
2 maçons x 14 j. x 2000F = 56 000F sous-total = 98 000F |
174 750F |
toiture en bon bois et murs de 20cm |
G. briques = 1 750 x 20F = 35 000F sous-total |
gaulettes (sabara): 24 voy. D’âne x 1000F = 24 000F sous-total pour bois |
2 maçons x 14 j. x 2000F = 56 000F
sous-total |
237 750F |
toiture en tôle et murs de 20cm |
G. briques = 1 750 x 20F = 35 000F sous-total |
17 feuilles de tôle (0,80 x 1,00) x 2400F = 40 800F |
2 maçons x 14 j. x 2000F = 56 000F
sous-total |
367 550F |
toiture CSB et murs de 40cm |
G. briques = 2 500 x 20F = 50 000F sous-total |
|
2 maçons x 20 j. x 2000F = 80 000F
sous-total |
236 292F |
Donc en résumé, le coût du gros œuvre varie du simple au double, selon les matériaux employés pour la toiture :
- toiture en mauvais bois: 174 750Fcfa
- CSB: 236 292Fcfa
- toiture en bon bois: 237 750Fcfa
- toiture en tôle: 367 550Fcfa
La construction sans bois est essentiellement au même prix que la construction avec du bon bois au moment de la construction (voir "le coût de l’entretien" ci-dessous).
Le coût de la maison CSB est nettement inférieur à une maison en toiture avec tôle en supposant qu’il y au aussi un faux plafond, que beaucoup de familles ne parviennent pas à financer, d’où un niveau de confort intérieur très inférieur.
A noter que plusieurs facteurs du contexte local modifieront les prix unitaires. Cependant, le tableau ci-dessus est une bonne indication de la situation générale à l’extérieur des grandes villes.
Le coût de l’entretien
Le coût d’entretien est aussi un facteur très important, auquel la population est souvent sensible.
Si auparavant le bon bois mur avec une durabilité de 20 ans ou plus était facile à trouver, ce n’est plus le cas, et la durabilité des poutres en « bon bois » jeune, typiquement du rônier (Borassus aethiopium), ne résiste pas à l’eau et sa durabilité s’en voit donc réduite. Dans le tableau ci-dessous nous avons calculé la durabilité du « bon » bois à 12 ans.
Base des calculs :
changement du bois : mauvais bois : 12 poutres x 750F
= 9 000F total = 9 000Fcfa
4 manœuvres x 4 jours x 750F = 12 000F total total = 20 000Fcfa
bon bois : 12 poutres x 6 000F = total = 72 000Fcfa
gaulettes : 24 voy. x 1000F = 24 000F total = 96 000Fcfa
main d’œuvre : 1 maçon x 4 jours x 2 000F = 8 000Fcfa
4 manœuvres x 4 jours x 750F = 12 000F total = 20 000Fcfa
crépissage : fréquence tous les 3 ou 4 ans : coût total 8 500 Fcfa
matériaux : banco : 5 voy. de charrette x 250F = 1 250Fcfa
fumier : 3 voy. de charrette x 250F = 750Fcfa total = 2 000Fcfa
(laisser macérer une journée)
main d’œuvre : 1 maçon x 1 jour x 2 000F = 2 000F
3 manœuvres x 2 jours x 750F = 4 500 Fcfa
total = 6 500Fcfa
durabilité de la tôle : si bien entretenue et pas arrachée par le vent elle peut durer 40 ans.
Type de toiture |
Toiture en mauvais bois |
Toiture en bon bois |
Toiture en CSB |
|||
Période |
Coût annuel |
cumul. |
Coût annuel |
Cumul. |
Coût annuel |
cumul. |
coût de construction |
174 750 |
![]() |
237 750 |
![]() |
236 292 |
![]() |
entretien après 2 ans |
29 000 |
203 750 |
0 |
237 750 |
0 |
236 292 |
entretien après 4 ans |
37 500 |
241 250 |
8 500 |
246 250 |
8 500 |
244 792 |
entretien après 6 ans |
29 000 |
270 250 |
0 |
246 250 |
0 |
244 792 |
entretien après 8 ans |
37 500 |
307 750 |
8 500 |
254 750 |
8 500 |
253 292 |
entretien après 10 ans |
29 000 |
336 750 |
0 |
254 750 |
0 |
253 292 |
entretien après 12 ans |
37 500 |
374 250 |
126 000 |
380 750 |
8 500 |
261 792 |
Ce qui est en effet important, c’est que le coût de la maison en mauvais bois dépasse le coût de la CSB après 6 ans, et celui de la maison en bon bois après 13 ans. Plus une famille est démunie, plus elle est obligée d’utiliser des matériaux de faible durabilité qu’elle doit remplacer au bout d’un ou deux ans. La consommation annuelle de matériaux végétaux par une famille démunie peut donc être importante, et au cours de 20 ou 30 ans, une famille démunie peut dépenser (en effort et parfois en argent) beaucoup plus sur l’habitat comparé à une famille plus aisé.
Base des calculs :
changement du bois : mauvais bois : 12 poutres x 750F
= 9 000F total = 9 000Fcfa
4 manœuvres x 4 jours x 750F = 12 000F total
total = 20 000Fcfa
bon bois : 12 poutres x 6 000F = total = 72 000Fcfa
gaulettes : 24 voy. x 1000F = 24 000F total = 96 000Fcfa
main d’œuvre : 1 maçon x 4 jours x 2 000F = 8 000Fcfa
4 manœuvres x 4 jours x 750F = 12 000F total = 20 000Fcfa
crépissage : fréquence tous les 3 ou 4 ans : coût total 8 500 Fcfa
matériaux : banco : 5 voy. de charrette x 250F = 1 250Fcfa
fumier : 3 voy. de charrette x 250F = 750Fcfa total = 2 000Fcfa
(laisser macérer une journée)
main d’œuvre : 1 maçon x 1 jour x 2 000F = 2 000F
3 manœuvres x 2 jours x 750F = 4 500 Fcfa
total = 6 500Fcfa
durabilité de la tôle : si bien entretenue et pas arrachée par le vent elle peut durer 40 ans.
Accessibilité
Selon nos propres calculs le coût d'une Construction Sans Bois est approximativement le même que celui d'une maison traditionnelle dont la toiture est en bois de bonne qualité (rônier). Elle devient vraiment économique à long terme puisque les frais d'entretien sont moins que pour les toitures en bois.
Mais cette économie n'est pas accessible aux plus démunis qui n'ont pas le pouvoir d'achat permettant de payer les frais de construction. Pour eux, la construction dépend de la collecte des matériaux ou la fabrication des briques eux-mêmes.
Pour sortir de ce cercle vicieux en utilisant des briques en banco et des maçons formés, il s’agit de trouver des solutions à aux moins trois niveaux :
- Diminuer l’impression qu’il faut réunir beaucoup de matériaux (briques) sous peu de temps. Il faut surtout faciliter l’accès aux matériaux de construction en encourageant les familles à étaler la production de briques sur une période plus longue que d’habitude, deux ans par exemple, en introduisant la pratique de stocker des briques en banco pendant l’hivernage, pratique qui est peu connue au Niger mais qui n’est pas difficile.
- Proposer des structures (i) très simples, et (ii) encourager le remplacement des éléments en bois par des structures en terre.
- Faciliter l’accès aux maçons formés pour lequel trois solutions semblent réalistes:
- augmenter le nombre de maçons dans les villages ;
- examiner les possibilités de mettre en place un petit crédit pour les services du maçon permettant de payer ses services sur une période plus longue ;
- encourager la formation des maçons parmi les familles et communautés plus démunies. La difficulté c’est qu’un maçon formé doit ensuite mettre en œuvre ses compétences, tandis que dans la villages pauvres, la demande pour la construction peut être très aléatoire, avec des saisons avec peu d’activité quand un maçon sera tenté de chercher du travail ailleurs.
Nous avons aussi réalisé au Niger et au Mali le remplacement d’un toit en bois sur certains bâtiments (mosquées et maisons) par un toit sans bois, qui est faisable sous réserve que les murs et les fondations soient adéquates. C’est une option intéressante, nécessitant une étude cas pas cas pour laquelle il faut développer le savoir faire nécessaire.
Recherche et démonstration
Au cours des années nous avons réalisé la construction de bâtiments expérimentaux au Niger, au Mali et au Burkina Faso visant à diminuer l’épaisseur des murs et à diminuer aussi la hauteur des toits. Les bâtiments avec des murs percés par des alcôves font partie de ces activités expérimentales. De même, DW étudie des différentes types d’enduit traditionnel, notamment à base du tannin, avec des résultats intéressants.
Certaines de ces techniques ont été ensuite incorporées au sein du programme de formation de la CSB, soit pour rendre la CSB plus facile et plus rapide à construire, soit pour la rendre plus économique.
Ces études sont documentées, notamment dans les rapports et articles suivants :
- P. Tunley, Development Workshop, « Etude Economique – Bâtiments en adobe, Niger : comparaison de coûts de constructions traditionnels et avec voûtes et coupoles », UICN, février 1991 ;
- D. Hammer & P. Tunley, Development Workshop, « Iférouane – Habitat en Evolution » Development Workshop/WWF/UICN, 1991;
- J. Norton, « Building in the Aïr and Ténéré region, Niger » Mimar, vol. 34, 1990;
- J. Norton, Development Workshop, « Programme Habitat Humain – Evaluation des bâtiments et des techniques de construction dans le cercle de Youvarou, Région de Mopti, Mali » UICN, 1991 ;
- M-L Uhde, Development Workshop, « Relations entre habitat humain et ressources naturelles, Mali et Niger » Etude Habitat & Environnement, Development Workshop/ACDI, 1995 ;
- M-L Udhe, Development Workshop, « La déforestation dans la région de Mopti (Mali) et ses impacts sur la population locale » ODA, 1996.
- M-L. Uhde, Development Workshop, « Programme Construction sans Bois – impact de la construction sans bois au Niger – Etudes de cas : Iférouane, Filingué » Development Workshop, 1998;
M-L Udhe et al. « The Market for Construction wood in Mopti, Mali », Habitat International, Pergamon, London, 1998.